QUELQUES LUEURS DANS « LA BRUME DES PRÉPARATIFS »
A la faveur de cette exposition, il m’a paru intéressant de souligner quelques aspects qu’a pu revêtir ma peinture ces dernières années. Quelques domaines que j’ai voulu aborder dans le cadre de ma constante investigation du champ pictural et qui constituent dans la continuité de ma démarche, la trame essentielle de l’œuvre.
Ces différents éléments mus par une pensée exigeante et un credo non démenti à ce jour, sont les arcs- boutants d’une œuvre que j’espère forte, et pour le moins hors soupçon de complaisance.
La terre
C’est le lien fondamental qui unit mes œuvres. Support et médium, elle est partout présente, souvent seule, arborant sa carnation, parfois recouverte d’un papier manuscrit, ou plus récemment de larges aplats colorés, ou bien écroûtée par des traits d’écriture qui viennent se graver dans sa chair.
Elle donne ici naissance à l’épaisseur, dimension exclue de la peinture pendant des siècles.
Matière et symbole, elle figure la corporéité du tableau.
L’absence du geste, le hasard
En même temps que j’ai abandonné les outils et les matériaux traditionnels de la peinture j’ai renoncé au geste du peintre. La main, cet organe garant du faire et du savoir faire n’est dès lors vouée qu’à des tâches subalternes. La gestualité dans ma peinture se manifeste presque exclusivement par l’écriture. Je m’attache également à ne pas maîtriser de techniques particulières ou élaborées. J’utilise au gré de mes intuitions des matériaux divers.
J’inscris dans des matières l’empreinte d’objets quelconques et j’aspire à la participation du hasard. Quand une technique est peu sûre, des accidents peuvent se produire qui sont parfois des aubaines. L’aubaine est une offrande du hasard.
L’écriture
En effaçant le geste, j’ai perdu le dessin.
L’écriture l’a remplacé, griffonnée sur du papier marouflé ou creusée dans la matière.
La graphie privée de sens redevient dessin pur et retrouve normalement sa place dans l’ordre pictural. Si elle perd son sens premier, et donc son intérêt usuel, en perdant sa lisibilité et l’espace qui lui est habituellement dévolu, elle conserve néanmoins son pouvoir de signifier le langage dont elle est la représentation graphique. Par ce pouvoir, elle crée le désordre au sein de l’hégémonie picturale. Elle s’intègre comme matière mais aussi comme élément perturbateur dans la configuration du tableau.
La couleur pure, la couleur sale
J’ai limité ma « palette » aux trois couleurs primaires -le rouge, le bleu, la terre pour le jaune- au blanc et au noir.
La couleur dans ma peinture est indissociable de la matière avec laquelle elle fait corps, qui la recompose et la redéfinit. Elle est parfois souillée, salie par une volonté iconoclaste de désacralisation. Elle voisine avec des surfaces à l’aspect douteux où se mêlent cendres, poussières, boues… Est-ce cette coulée boueuse qui magnifie ce bleu lumineux ou ce noir profond ou bien est-ce l’inverse qui se produit ?
La couleur pure ou sale, dit et répète la persistance de la peinture.
La brume des préparatifs
C’est dans cette zone obscure, qui abrite sans doute « la nécessité intérieure », que tout se joue, que tout se noue. C’est là que prend racine et s’articule l’essence de l’œuvre, cette force vive qui échappe à tout contrôle, que le langage ne peut expliquer et que la peinture exprime en un point insaisissable. Cette force invisible et permanente laisse apercevoir de temps à autre un aspect plus ou moins profond de son être. C’est cet instant privilégié qui favorisera la rencontre entre l’auteur et le spectateur.
Jean-Paul PANCRAZI
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